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22.2.17

Bissextile


j'aime la nuit j'aime le matin je n'ai je ne sais pas quand dormir
j'aime soulever le couvercle du crépuscule et soupçonner ce qui
crucifier le jour
ce qui se cache derrière dessous derrière les
c'est vrai, mais

aller au lit c'est toujours un constat d'échec
un avis de défaite un renoncement une interruption volontaire de patacaisse une
un flop et quoi que nous ayons pu être en train de
de faire
de désirer
il faut cesser

aller au lit c'est un silence vulgaire qui s'abat sur la musique sur le
ce n'est pas du tout pareil que qu'une sieste sur le canapé avec
kruder et dorfmeister à donf et un ronron sur la panse
la sieste est une activité saine un satori à durée déterminée un je mais le mais la nuit qui engloutit ce n'est pas
la nuit n'est pas ce n'est pas fait pour la nuit n'a pas vocation
à engloutir la conscience
la nuit est émancipatrice et je dis
je dis zut raté

et d'ailleurs parfois je campe
militante enracinée sur le sofa
parce que le lit ce lit ce grand lit là il est trop vorace il n'est pas pour moi trop méchant trop grand trop imposant
un seul neurone vous manque et tout est déguerpi
(et de toute façon il fait trop chaud)

aller au lit c'est une exactitude une science
pour certains
une sorte d'aiguille plantée dans le temps
à heure fixe
mais moi le temps qui saigne ça me terrifie c'est un rififi contre soi une espèce de
une sorte d'exigence insatisfaisable
la discipline est un art mineur et je la laisse
je la laisse à ceux qui s'y connaissent en petites choses

aller se coucher se c'est une forme d'appartenance
l'avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt
(l'avenir c'est la mort connard)
puisqu'on te dit que c'est facile et que tu n'as qu'à faire comme tout
comme nous fermer les yeux c'est simple comme bonsoir
cher monsieur je ne sais pas qui vous êtes
et je n'ai pas le schibboleth

aller au lit c'est une épreuve de force il faut surmonter
l'angoisse il faut surmonter la
la paralysie les palpitations la prostration l’allitération le décloisonnement du réel ou pire encore
la contemplation
d'une fenêtre noire sur laquelle se dessinent
les pires néants
on a beau repousser pourtant
de click en click en click en click
jusqu'à ce que sur ce jusqu'à ce que gouffre s'ensuive
on a beau se

on sait ce qui va se passer si on y
si on ose y
si on y va
se tourner se retourner face a face b rayée comme un vieux single d'italo disco
rager rallumer se dire qu'il suffit de mourir ne penser à rien
c'est trop flippant remettre de la musique parce que le silence est insoutenable éteindre rallumer lire un
chapitre pourquoi se relever pisser couper la musique éteindre
rager rallumer lire une page pourquoi se relever remettre de la musique mais douce éteindre
de nouveau se masturber une et puis deux puis trois pourquoi quatre fois comme une comme une
promesse de se clouer les yeux à grands coups de doigts on a beau
c'est perdu d'avance

l'abolition de la peine d'aube est un projet politique
avorté reporté à sans tarder #pascesoir
sauf qu'il n'y a pas
sauf qu'il n'y a pas de sans tarder ni de demain d'ailleurs

huit heures de travail
huit heures de loisir
huit heures de procrastination
huit heures de somnambulation
seize heures de sommeil
quarante-huit heures par jour1
journée bissextile

le temps perdu est d'une valeur inestimable
si inestimable qu'on se
qu'on se l'arrache sur les marchés

1la loi précise en outre que la diminution du temps de travail n'implique pas une diminution de salaire

A.K.

(Clin d'oeil à Antonella Eye Porceluzzi)